commentaire pour opus 73

retour à la liste

Visions (sur l'apocalypse de St. Jean) pour grand orchestre , op. 73 (1980)

 

Visions début

 

Instrumentation: 3.3.3.3 - 4.3.3.1 - timbales, percussion <3 - 4>, harpe, cordes

Première: 7 juin 1980, Berlin, Philharmonie
Berliner Philharmoniker / Aldo Ceccato

Première en Amérique: 9 octobre 2003, New Orleans
Louisianna Philharmonic Orchestra, New Orleans / Klauspeter Seibel

Première en Australie: 26 juillet 1985, Queensland, Australian Broadcasting Corporation Music Centre
Queensland Symphony Orchestra / Werner Andreas Albert


Durée: 22 minutes

Maison d'édition: Schott Musik International

Conventus Musicus CM 108

Video: Hummel sur youtube

 

structure

 

Commentaires du compositeur sur son oeuvre

Introduction à l'œuvre

Les différentes images de l'apocalypse m'inspirèrent à composer l'œuvre. J'ai essayé de capter en deux mouvements symphoniques la fascination des révélations et l'importance de sa signification pour notre époque. Ce ne sont pas seulement les scènes dramatiques de cette vision de la fin des temps qui jouèrent un rôle important, mais beaucoup plus la mystérieuse numérologie de l'histoire de Jean pour l'élaboration du matériel et l'élaboration formelle de l'œuvre. Durant la composition j'ai attaché beaucoup d'importance à la compréhension des pensées musicales ainsi qu'à des structures formelles claires.

L'œuvre commence avec un accord de cinq voix avec ses renversements. Un motif de trois sons symbolisant Dieu est joué et gagne toujours en importance au cours du mouvement. C'est avec sept répétitions de la note fa que se termine l'introduction.

Des mélanges bi-tonals dominent le prochain segment à teneur plutôt mélodique et abouti à une cadence de vibraphone.

Une séquence de quatre notes est confrontée au motif de trois sons. Tous les éléments du mouvement sont intégrés dans l'exécution qui s'en suit. Au point culminant du mouvement qui est rapidement interrompu, le motif de trois notes apparaît encore une fois exécuté distinctement à l'unisson. Un épisode de caractère méditatif suit un éclat impétueux qui est enchaîné d'une coda dans laquelle on peut en entendre des réminiscences.

Le deuxième mouvement est essentiellement un allegro tempétueux qui signalise l'arrivée des chevaliers. Les quatre premières notes d'une série de douze assument le rôle de motif principal. Des motifs rythmiques opposés donnent une allure simpliste au mouvement qui est constamment interrompu par des insertions contrastantes. Après une intensification élaborée dans un tempo lent avec le motif principal comme basse ostinato, le mouvement se dissipe dans un pianissimo extrême. Les quatre accords superposés à la fin de l'œuvre symbolisent les quatre portes célestes de Jérusalem.

L'œuvre me fut suggérée par l'orchestre philharmonique de Berlin et fut composée entre novembre 1979 et avril 1980.

Bertold Hummel


La puissance symbolique des images que nous offrent les révélations de Jean, a toujours animé la force créatrice.

Plusieurs oeuvres qui furent créées au cours des dernières décennies montrent tout particulièrement que les artistes de notre époque ont une affinité spéciale pour les images que dégage l'apocalypse. La raison probable pour cela est qu'il est facile de mettre en relation les guerres et les autres catastrophes de notre siècle avec les promesses de Jean.

La question critique de l'homme d'aujourd'hui est plausible: Est-ce que les histoires de l'évangéliste sont les hallucinations d'un schizophrène ou des aveux désirés obtenus par la torture d'un prisonnier persécuté ? Il entendait apparemment des voix, des chants, des trompettes et des coups de tonnerre, il avait des apparitions, recevait des ordres et les exécutait. Tous les symptômes nécessaires pour diagnostiquer une aliénation.

Il n'y a contre la valeur de sa déclaration que la quantité de vérité contenue dans l'histoire. Dans une multitude d'images est décrit le combat et la victoire des forces de la Lumière contre celles des ténèbres. D'une façon archétype, les drames exposés du monde et de l'humanité sont par conséquent intemporels. Le destin tragique de chacun ainsi que de peuples entiers ne sont-ils pas, entre autre, une anticipation de la fin des temps vers laquelle notre monde se dirige de manière irrévocable?

J'ai lu le fascinant livre des sept sceaux longtemps avant d'avoir commencé la composition des Visions en 1979. Plusieurs de ces interprétations imagées de la fin du monde m'ont très ému. J'ai reçu des impressions persistantes avec le "Quatuor pour la fin du temps" d'Olivier Messian qu'il a écrit en Allemagne en 1940 comme prisonnier de guerre et qui est devenu une oeuvre clé dans son ouvrage.

Ce ne sont pas seulement les différentes stations du jugement dernier qui me fascine en tant que musicien, mais aussi la mystérieuse symbolique de la numérologie de l'apocalypse qui offre une interprétation abstraite et sans texte. Cela mènerait trop loin de tenter une interprétation détaillée des profondeurs psychologiques. Voici quelques chiffres jouant un rôle important dans ma composition.

Le chiffre 7 (7 étoiles, 7 candélabres, 7 sceaux) est mythologiquement celui de la transformation qui mène à la perfection. Elle indique l'unité qui dans ses différentes retombées et configurations est devenu parfaite.

Le chiffre 6 montre l'emprisonnement par la matière. Le chiffre 4 et ses multiplications, spécialement 12, 24, 144 est l'expression de la perfection finale lorsqu'il se rapporte à un 5 (ou un 13).

Se basant sur la numérologie hébraïque WEINREB écrit:

"12 sans le 13 est un état de combat dans lequel Dieu se bat contre des dieux, comme il en est dans la bible, un état de mouvement ininterrompu d'inquiétude. Le treizième amène la rédemption."

Des explications données ci-haut, on peut conclure que mes essais d'interpréter musicalement ne s'arrête pas seulement à la description dramatique de certaines scènes. ils prennent aussi le monde des images et de leurs sceaux en considération. Ainsi, on trouve par exemple une référence au Jérusalem céleste, la ville éternelle de Dieu, avec ses 4x3 portails qui se transforment comme suit à la fin de l'œuvre de deux mouvements :

Quatre accords de trois voix consécutivement superposés l'un sur l'autre pour former un accord de douze sons. L'œuvre fut écrite à la suggestion de l'orchestre philharmonique de Berlin et fut terminée le 1 avril 1980. Je n'ai sûrement pas échappé au danger de faire moi-même quelques confessions dans mes Visions.

Bertold Hummel

 

Geste confessionnel
Reinhard Schulz
à propos de "VISIONS" de Bertold Hummel selon l'apocalypse de St-Jean.

Si l'expression était permise, on pourrait qualifier Bertold Hummel de figure centrale marginale de la musique contemporaine. Il est né en 1925 à Huffignen/Baden, la région avoisinante d'où était déjà présenté à l'époque le festival "Donaueschinger Musiktagen, considéré aujourd'hui comme plaque tournante en matière de musique contemporaine. Entre 1947 et 1954 il étudia à Fribourg la composition avec Harald Genzmer et le violoncelle avec Atis Teichmanis. Il croyait d'abord qu'il serait principalement actif comme violoncelliste. Mais déjà en 1956 il accepta un poste de chantre à Fribourg ou il resta jusqu'en 1963, ce qui dans le cadre de ces activités l'amena à se vouer spécialement à la composition. Que la musique liturgique (du point vu catholique) constituerait une partie importante de son œuvre, était déjà, à cette époque, prédéterminé. Il songea, suivant les lignes directrices du professeur Harald Genzmer, à un langage musical ouvert dans plusieurs directions. Bien sûr, il ne suivait pas les tendances du jeu de Genzmer: la musique resta toujours pour lui une confession. Lorsqu'on lui demanda, envers quels de ses idoles il ressentit une obligation toute particulière de nommer Palestrina, Bach, Bruckner et Messiaen. Tous représentent un sommet dans son travail de création qui l'obligeait à une foi profonde.

Bertold Hummel s'exprimait de la façon suivante au sujet de ses orientations: "Venant de l'école Hindemith-Genzmer je m'étais déjà, dans les années 50, ouvert au pluralisme des méthodes de composition. Étant, dès mon enfance, initié au grégorien, je m'intéressais de plus en plus au langage modal ainsi qu'à la dodécaphonie. En plus des possibilités qu'offraient la polytonalité ou la théorie sur la couleur des sons de Messiaens, ma curiosité était piquée par l'univers rythmique de certaines cultures, ainsi que des possibilités qu'offre l'électronique. Le "triangle" compositeur-interprète-auditeur resta pour moi un défi constant auquel je devais faire face de plusieurs façons: au niveau de l'orchestre virtuose ou de la musique de chambre ainsi que de la musique sérieuse pour amateurs et enfants."

Sur cette base de pluralité des langages musicaux, une pluralité qui concerne autant le choix du matériel que des techniques mais aussi les différentes fonctionnalités de la musique, Bertold Hummel développa son propre style qui diffère d'une manière déterminante du reste de la musique contemporaine. Bertold Hummel n'a jamais remis en question que la tradition sert de base fondamentale immédiate à sa volonté créatrice. D'ailleurs on perçoit très souvent un geste confessionnel traverser ses oeuvres. Ici, Hummel a une obligation envers les grandes oeuvres spirituelles de la musique pour employer sa manière de décrire l'œuvre de ses idoles: la musique comme symbole de l'exhortation et du réconfort de Dieu. À ce fait, plusieurs de ses oeuvres principales parlent d'elles-mêmes : cinq messes, l'oratorio "Le Tombeau des Martyres", son ballet "La dernière fleur", sa deuxième symphonie "Reverenza" et aussi sa troisième symphonie "Jeremia", une de ses dernières grandes oeuvres avant qu'il ne meure.

" Visions " pour orchestre, fut composé en 1980 pour l'orchestre philharmonique de Berlin dans le cadre d'un colloque catholique et y pris une place importante. L'œuvre est basée sur l'apocalypse de Jean, et Hummel pose d'abord une question douteuse au sujet de ces écrits: "Est-ce que les histoires de l'évangéliste sont les hallucinations d'un schizophrène ou des aveux désirés obtenus par la torture d'un prisonnier persécuté ? Il entendait apparemment des voix, des chants, des trompettes et des coups de tonnerre, il avait des apparitions, recevait des ordres et les exécutait. Tous les symptômes nécessaires pour diagnostiquer une aliénation." Mais aussitôt, Hummel attire notre attention sur le fait que ces pensées aliénées font écho à l'histoire de l'humanité et surtout à notre époque. Hummel continue ainsi: "Dans une multitude d'images est décrit le combat et la victoire des forces de la Lumière contre celles des ténèbres. D'une façon archétype les drames exposés du monde et de l'humanité [...] . Le destin tragique de chacun ainsi que des peuples entiers ne sont-ils pas, entre autre, une anticipation de la fin des temps vers laquelle notre monde se dirige de manière irrévocable?"

Dans la partition, Hummel a inséré les passages de l'apocalypse auxquels il fait allusion. Il ne s'agit cependant pas d'une musique programmée qui ne constituerait qu'une restitution des images en musique. Hummel suit un concept captivant allant beaucoup plus en profondeur. Certains aspects du visionnaire font partie de l'organisation du matériel thématique. Ce sont des lignes claires, souvent exécutées à l'unisson que, même si elles ne sont pas prenantes, jouent quand même une forme dominante. Elles brillent, éclairent la scène, comme un paysage de nuit illuminé d'éclairs de chaleur et elles disparaissent de nouveau. Elles sont intouchables, un moment d'incompréhension prend place. Les valeurs saintes jouent un rôle primordial et ici on peut reconnaître une parenté avec les conceptions sonores d'Olivier Messiaen. Clair et sombre donnent une dimension spatiale, éclairent un aspect, le rendent effrayant, clairement démoniaque et le font disparaître. Vérité et chimère s'entremêlent. La musique ne rend pas vraiment les images parlées plus distinctes, elle flaire les perceptions de Jean, les inexactitudes, ce qui est voilé, la brillance crée des zones irréelles qui toutefois se manifestent au niveau de la conscience. La vision du futur, c'est cela l'apocalypse. Elle ne peut pas être concrète et détaillée. Elle est un entrelacement d'énigmes groupées de manière encore plus effarante par la vérité.

C'est un concept musical coloré et intensif avec des fantasmes sonores visionnaires qui ont un effet beaucoup plus durable que la simple présentation des images en musique. C'est pourquoi la musique n'est jamais radicalement intelligible. Elle erre, elle cherche, elle s'accroche à des structures, sans à la fin vraiment y adhérer. Dans ces Visions, il est question de menace dont on peut présager concrètement la présence à fleur de peau sans pour autant vraiment pouvoir la saisir. Dans sa partition, sans contester une des ses plus intenses visions, Hummel confère à ces sections une intensité fanatique.

L'œuvre est formée de deux mouvements qui, en soit, représentent deux niveaux émotionnels différents. Le premier est d'un tempo lent, le deuxième est plus bouleversé. Mais il n'est pas question ici de la forme conventionnelle lent-vite. Le moment éprouvant du premier mouvement introduit par des sons de cloches annonçant l'arrivée de Dieu, "JE SUIS L'ALPHA ET L'OMÉGA" (avec des motifs apparentés à B-A-C-H c.-à-d. si bémol, la, do si) est aussi présent dans le deuxième mouvement, dans lequel les visages se saisissent violemment, cette fois sous des sonorités de fanfares fougueuses et dynamiques. Ici aussi, au milieu d'une lumière intense, on trouve des zones de tranquillité, de transformation dans un brouillard irréel. Elles se poursuivent jusqu'à l'atteinte de l'image visionnaire de Jérusalem inondée de lumière. C'est l'apparition d'un espoir, qui étrangement comme toutes les menaces auparavant, a un effet menaçant. C'est une des possibilités que renferme le futur. Aucun langage culturel ne peut faire vivre une expérience d'une telle intensité aussi bien que la musique.

(tiré du programme "PRADISI GLORIA" de l'orchestre philharmonique de Munich, publié par la Radio Bavaroise/département de la musique)

retour à la page précédente

Deutsch - English